Dans son dernier message Marcus, architecte de Belo Horizonte, nous rassure « ne vous inquiétez pas ici c’est calme et sécure ». Et c’est bien comme il le racontait. On se croirait dans un petit village. Tout le monde se salue, on croise un cours de tambours dans la rue, la musique se joue fort sur les terrasses et chacun est invité à rentrer dans les locaux de Historia em Construçao où nous avons notre premier rendez-vous.
Du café et des gâteaux attendent sur la table de la salle commune de l’association. Historia em Construçao est une centre communautaire au milieu de la favela de Morro das Pedras. Après avoir accueilli une bricothèque, ils cherchent aujourd’hui à faire évoluer leurs activités. Ce soir Marcus a convié Julio, l’un des membres fondateurs de Flor do Cascalho, autre centre communautaire sur lequel nous reviendrons plus tard. La réunion commence par une séance de yoga et une initiation pour tous à la capoeira. Nous sommes ravis. L’ensemble du petit groupe monte sur le toit du centre. Une vue imprenable sur Belo Horizonte s´offre à nous. En bonus, le couché de soleil. Aprés une séance de caporeira (dont nous vous épargnons les images !), l’échange commence.
L’histoire de l’association Historia em Construçao nous interpelle. Le groupe a commencé à se constituer à travers une lutte. La municipalité souhaitait expulser et détruire toutes les maisons dans un périmètre de 20 métres autour des pylônes électriques qui passent au milieu de la favela à cause du péril que cela représentait. Une personne de la favela est ainsi allée chercher les étudiants de l’école d’architecture pour qu’ils les aident à trouver des arguments pour contrer ceux de la mairie. Au court de longs procès, ils démontent les arguments un à un, en démontrant notamment que les installations ont précédées les pylônes, et qu’il y a d’autres solutions pour faire passer l’électricité. Désormais, ce groupe aura un nom : Historia em Construçao.
En nous racontant cette histoire complexe Marcus soulève une montagne de sujets liés a la favela : les trafiquants de drogues, les modes de vies autogérés, les constructions précaires qui ne cessent de s’étendre, le marché interne de location de maisons illégales, les histoires de familles souvent complexes…. Nous apprenons également le poids des politiques et des municipalités sur ces territoires construits illégalement, en face desquelles on trouve la solidarité entre les habitants, une entraide qui existe et une lutte permanente pour les droits qui devraient leur revenir de fait.
Les sujets à évoquer sont nombreux, nous souhaitons tout d’abord connaître le fonctionnement de ce centre communautaire mais également leur philosophie et leur souhait d’évolution.
Ainsi, après les trois procès lourds en lutte, la municipalité finit par autoriser les habitants à rester. Las de ce combat le groupe s’éparpille, les habitants cherchent à retrouver leur quotidien. Une bricothèque se met en place pour prêter des outils à l’ensemble des habitants de la communauté. Malheureusement le vol de la quasi totalité de ces derniers entraînera la fin de cette activité née spontanément des habitants, une activité que Marcus souhaite d’ailleurs remettre au coeur du centre. Aujourd’hui Historia em Construçao, installée au cœur de la favela, souhaite créer un centre communautaire, via un programme culturel. L’association propose donc des activités de peintures, de bibliothèque et de diffusion de films.
Bien sur tout n’est pas simple, même si tous souhaite ouvrir le centre au plus grand nombre, des groupes se forment. Marcus insiste le rôle qu’il souhaite pour l’association. Celle-ci devrait, selon lui, se concentrer à aider les habitants du quartier à initier des projets, à participer aux luttes sociales et urbaines et à accueillir les projets de tous. Son rôle en tant qu’architecte n’est pas de rester dans la favela mais de donner une base pour aider les habitants à faire valoir leur droits, que volontairement la municipalité rends opaques.
L’association Flor do Cascalho, vieille de 13 ans, a rencontré les mêmes soucis que Historia em Construçao. C´est pour partager son expérience dans ce centre que Julio est venu rencontré les acteurs d´Historia em Construçao. Il se veut rassurant. Très pédagogue et calme il raconte l’histoire de son association. Il est selon lui nécessaire d´être avant tout patient et de communiquer pour limiter au maximum les frustrations personnelles. Tel un programmateur averti il rappelle l’importance de laisser du vide dans l’espace commun et les activités pour faire naître des choses. Lui, le professeur de Capoeira Angoleira, insiste également sur l’importance du sport : ne pas avoir un esprit libre comme un cheval sans cavalier. Trouver l’équilibre entre le corps et l’esprit.
Les débuts de son l’association, il y a 13 ans, se sont faits dans un contexte de tensions entre les gangs. Le respect acquis aujourd’hui est le fruit d’un long processus dont le maître mot pour Julio est la patience. Aujourd’hui l’association est connue de tout le monde, par le bouche à oreille, malgré ses lacunes en termes de communication que reconnaît le directeur.
Constituée à la fois par des personnes de la favela et des personnes extérieures, l’association proposent de la capoeira, de l’acupuncture, du yoga et des cours de musique. Récemment la construction d’un studio de musique qui peut être loué permet de faire vivre économiquement le lieu et d’enregistrer gratuitement des groupes de musique de la favela.
Mano Coti, l’un des rappeurs de la Favela Morro das Pedras, rencontré à Flor do Cascalho
Julio n’est pas simplement un directeur qui planifie des activités, recherche des fonds mais il est aussi un véritable philosophe qui prône une approche horizontale dans la gouvernance de son association, inspiré par les racines afro-brésiliennes de la capoeira. Sa référence à Kung Fu Panda ” le passé c’est l’histoire, le futur c’est le mystère et le présent un cadeau” nous fait rire mais parle à tous. Le fond de sa pensée est très abouti et forgé par son expérience. Nous comprendrons d’autant plus la force et la réalité de ses paroles le lendemain a une fête organisée par l’association et ouverte a tous. Les chants, les danses, les sourires, le rythme de la samba, l’élégance des corps (et les quelques verres de cachaça “mandigua” sous 35 degres) nous enivrent et nous enthousiasment.
Alors bien sur tout n’est pas rose. Mais aujourd’hui, la phrase de Julio raisonne partout ici : “il faut arrêter de croire que les gens des favelas ont besoins d’aide, ici les gens sont heureux c’est à l’extérieur que les gens sont malheureux.”
Encore nous reste-t-il à comprendre son fonctionnement, ses habitants et leur organisation et les raisons qui les poussent à se battre quotidiennement et spontanément pour aller chercher leur droit à la ville.