Sao Paulo est un véritable monstre urbain. 4Eme plus grande ville mondiale, son PIB équivaut à celui du Chili. Tous les intérêts économiques se réunissent ici. La population de la ville est de 11 millions d’habitants et celle de son agglomération plus du double. Et dans cet enfer urbain 890 000 personnes attendent une amélioration de leur habitat. Ça tombe bien diront certains, la ville compte de nombreux logements vacants. Le centre s’est vidé à partir des années 70-80, quand les classes les plus aisées sont allées chercher dans la périphérie un mode de vie plus agréable. De nombreux bâtiments sont ainsi laissés vide, tombés dans l’oubli, ou transformés en biens spéculatifs en attendant une revalorisation de la zone. Un dicton de la ville va même jusqu’à avancer qu’ « avec tous les bâtiments vides de Sao Paulo, on pourrait résoudre la question du logement ». Mais tout n’est pas si facile.
C’est pourtant sur ce constat que de nombreux mouvements sociaux oeuvrent depuis longtemps dans la réappropriation de ces bâtiments en squat. Nous avons pu visiter deux d’entre eux : l’Hotel Cambridge et Ouvidor.
Hotel Cambridge
L’Hôtel Cambridge est un des nombreux squats d’habitation de Sao Paulo mis en place par le MSTC (Mouvement des Sans Toits du Centre) et le FLM (Frente de Luta por la Moradia). Après 14 ans d’occupation, la propriété est finalement revenue au mouvement. Le bâtiment est aujourd’hui en auto-gestion et accueille plus de 150 familles.
L’impression que donne l’hôtel Cambridge est tout à fait surprenante. Le mot squat en français ne permet pas de bien comprendre ce qu’il se passe ici. En effet, ce mot a pris une tournure négative et vulgaire dans notre vocabulaire, signifiant tour à tour bordel, insalubrité ou désorganisation. Or on ne retrouve pas ici la raison qui a donné à ce mot toutes ces connotations. Tout est organisé, pacifié, et propre. C’est d’ailleurs ce peut-être pourquoi les brésiliens préfèrent appeler ce genre d’endroits des « occupaçao » et non des squats.
En arrivant là-bas, le concierge nous reçoit, et appelle la personne du MSTC que nous devons rencontrer. Celle-ci nous livre tout de suite sa position sur la question du logement à Sao Paulo : « Il y a des familles ici qui sont mortes à attendre un logement. La seule manière de dénoncer cela, c’est de montrer : nous sommes capables d’occuper ». Le nombre d’occupations menées par ce mouvement est en effet très important (10 dans le centre de Sao Paulo), et d’autres devraient ouvrir prochainement nous dit-elle.
L’entretien est aussi l’occasion de revenir sur l’organisation du bâtiment et tout le travail qui a été fait pour le remettre en état. Les bâtiments récupérés par le mouvement sont bien souvent dans un état d’insalubrité avancé. Pour accomplir tous les travaux de réhabilitation, le mouvement se fait aider par des architectes ou les écoles d’architecture. Cela nous ramène encore une fois à nous questionner sur notre rôle en tant qu’urbaniste. En France, le travail d’urbaniste est pensé comme un « outil d’aide à la décision politique ». Or au Brésil, beaucoup choisissent d’être un outil au service des citoyens et des mouvements sociaux.
On retrouve à l’Hotel Cambridge de nombreux espaces collectifs : bibliothèque, accès à internet, atelier de couture, friperie… De nombreuses chosent sont faites pour tous et, bien entendu, tout le monde ici se connait et se salue dans les escaliers. Une sociabilité que l’on avait déjà retrouvé dans le quartier auto-géré d’Esperança au nord de Rio. L’histoire du bâtiment a d’ailleurs fait l’objet d’un documentaire bientôt en salle. L’entretien terminé, nous nous dirigeons vers Ouvidor, l’un des plus grands squats artistiques en Amérique Latine.
Ouvidor 63
A Ouvidor, l’impression y est nettement différente. Les murs de chaque étage sont remplis de tag, dessins, peintures, messages… Chaque pallier de cette occupaçao est habité par plusieurs artistes aux disciplines très différentes : tag, artisanat (mandala par exemple), peinture, sculpture, vidéaste… La langue favorite ici est le portugnol (mélange de portuguais et d’espagnol). En effet, les personnes que nous avons rencontré ici viennent de Colombie, d’Argentine, d’Uruguay, du Brésil…
Le soir, nous assisterons à un spectacle de cirque de femmes venants essentiellement de Colombie. Ici un extrait du spectacle faisant référence à l’action “Limpiar la ciudad” menée par la municipalité, visant à effacer l’une des plus grandes fresques de la ville.
Ce squat n’a pas été mis en place par un mouvement particulier, et n’a donc pas une revendication unique. Néanmoins, certains d’entre eux estiment qu’il est important d’ouvrir des lieux comme ça dans le centre pour lutter contre les phénomènes de gentrification et pour offrir à tous des espaces de culture et d’expression libre.
L’un des rappeurs rencontrés à Ouvidor
Ces deux exemples sont une toute petite partie des nombreux squats qui ouvrent chaque mois à Sao Paulo. Ce fourmillement d’initiatives de ce genre est permis tout à la fois par des mouvements sociaux très présents, de nombreux bâtiments libres, mais aussi par un contexte législatif national et politique local.