Le centre historique de Quito est plein de contradictions. C’est à la fois le centre historique le moins modifié de toute l’Amérique latine (reconnu par l’UNESCO), malgré les nombreux tremblements de terre. Mais aussi l’un des centres le plus paupérisé et le plus dégradé. Autour des basiliques, des monastères et des maisons coloniales se déploie un quartier à l’allure un peu décrépi, à l’animation pauvre et aux ruelles parfois peu recommandables.
Mais on peut aussi avoir un bâti ancien, vide et délabré et en faire une force. C’est ce que prouvent petit à petit différents collectifs de Quito. Parmi eux le collectif Al Borde et la Casa Catapulta que nous avons pu rencontrer lors de notre reportage.
La Casa Catapulta
C’est par une rencontre de Lima que nous avons entendu parler de la Casa Catapulta. La Casa Catapulta est un centre culturel qui accueille différentes initiatives dans le centre de Quito, dans une maison coloniale qu’ils réhabilitent au fur à mesure. La soirée là-bas nous promet d’assister à une performance de Poésie dans l’espace public. Du coup on s’y presse dès l’après-midi.
À l’adresse indiquée, on trouve une maison coloniale jonchée dans les derniers étages d’un bâtiment du centre. En arrivant, difficile de trouver un interlocuteur tant tout le monde s’active pour la fête du soir. Ils ont refait le toit il y a peu et rien n’est encore en état pour recevoir le public. Alors, comme tout le monde, on s’affaire à bouger les restes de la construction et à nettoyer les sols.
Une fois terminé, on nous parle un peu plus du projet et du contexte du centre. Le centre de Quito souffre de son ancienneté. Des propriétaires possèdent des bâtiments entiers dans le centre. Mais, faute de moyens, ils ne peuvent les réhabiliter pour les rendre vivables. Alors, des outils se développent au fur à mesure pour réhabiliter les bâtiments à moindre coût. C’est le cas par exemple du Comodato utilisé dans ce projet-ci. Il s’agit d’un contrat passé entre le propriétaire et un groupe de personnes qui réhabilite le bâtiment par leur propre moyen et qui en échange habite le lieu pour une période définie (ici 15 ans).
Une initiative qui permet de nombreux bénéfices tout à la fois pour le propriétaire, mais aussi pour ceux qui viennent habiter. Ces derniers trouvent là un espace libre à occuper en échange d’un peu d’huile de coude. La liberté qu’ils y trouvent se traduit d’ailleurs souvent en volonté d’ouverture. La Casa Catapulta accueille ainsi de nombreuses initiatives tout à la fois sociales (aide à l’insertion de femmes sortant de prison et à leurs enfants), mais aussi culturelles (cours de danse, atelier de couture…) permettant de dynamiser l’offre culturelle dans le centre historique. De nombreux logements accueillent les occupants, mais aussi des visiteurs venus apporter leurs touches à la Casa Catapulta.
Al Borde
C’est ici à un collectif d’architectes que l’on s’adresse. Ils œuvrent dans beaucoup de domaines différents. C’est eux qui ont fait le pavillon de l’Équateur de la Biennale de Venise et font de nombreux projets autour du réemploi. Mais c’est de la construction de leur agence dont nous aimerions parler ici. Cette construction a été en quelques sortes l’acte fondateur de l’agence, mais aussi de leur philosophie d’action.
Nichés dans une partie du centre historique, ils travaillent depuis maintenant 10 ans à la réhabilitation d’un bâtiment qui était en partie inhabitable. Cette réhabilitation se fait à travers un accord tacite avec le propriétaire qui les autorise à rester sans payer de loyer de manière proportionnelle à l’investissement en temps et en argent qu’ils ont mis dans les constructions.
Tout juste sortis de leurs études d’architecture, ils ont donc décidé de mettre les mains dans le cambouis et de faire eux même les constructions. Ils vivent aujourd’hui dans une partie du bâtiment, disposent d’une agence ainsi que d’espaces pour accueillir les stagiaires venus chez eux. Tout cela a été possible grâce aux Mingas ; mot indigène désignant la manière traditionnelle de travailler collectivement en faveur de la communauté.
Mais tout n’a pas toujours été aussi facile. L’action sur les bâtiments historiques de la ville est en effet rendue difficile par les documents protégeant le patrimoine du centre. Pour agir sur ces derniers, il faut rendre un certain nombre d’études, rendant le coût de réhabilitation très élevé, et empêchant de nombreux propriétaires de faire quoi que ce soit. Cette protection a donc comme effet bizarre de vider le centre et de laisser de nombreux bâtiment se délabrer petit à petit. Face à ce statu quo, les architectes du collectif ont dû batailler. C’est notamment à travers la mise en scène de cette réhabilitation dans une exposition à Chicago qu’ils ont réussi à gagner en légitimité et à faire accepter leur projet à la mairie.
Il ne leur reste aujourd’hui plus que quelques années pour habiter le bâtiment. Mais cette expérience reste aujourd’hui un manifeste pour les projets qu’ils engagent à travers des thématiques comme l’informel, le travail collectif, mais aussi le réemploi…
Ces deux projets prouvent donc, à leur manière, qu’il est possible de réhabiliter le centre historique par de petites touches peu onéreuses tout en faisant profiter à tous de ces améliorations. De plus, il est intéressant de voir ici la formalisation d’une occupation temporaire protégeant les occupants. Ce type de contrat leur permet notamment se projeter dans l’avenir. Un cadre nettement plus reluisant que les conventions d’occupation précaires qui, en France, associe les occupants temporaires à des squatteurs et ne reconnaît pas la valeur que ces derniers créent.