Sao Paulo, les mouvements sociaux comme acteurs du droit à la ville 2/2

Le Brésil a une particularité législative que beaucoup lui envie. Le droit à la ville est ici un droit constitutionnel. Le droit d’avoir accès aux aménités urbaines et à un toit sont ainsi des droits garantis pour tous et reconnus par la constitution.

De plus, la loi a introduit un bémol au droit suprême de propriété. Celui-ci n’est, dans le texte, pas absolue. Les propriétaires sont obligés d’accomplir dans les bâtiments qui leurs appartiennent une fonction sociale de la propriété (entendez, un rôle dans la ville). Si cette fonction n’est pas accomplie, le droit de propriété peut être remis en question.

L’Hotel Cambridge, une occupaçao dans le centre de Sao Paulo qui a récupéré un ancien hôtel non utilisé depuis plus de 15 ans

Encore une fois, cela est inscrit dans les textes, mais il est parfois bien difficile de mettre en place des politiques correspondants à ces lois. Comment jongler entre libéralisme et politiques sociales, et entre capitalisme et remise en question de la propriété ? C’est une corde sur laquelle le Brésil aime danser. Mais dans ces nuances, une position a tendance à parfois dominer l’autre, et les juges privilégient bien souvent les propriétaires au dépens des personnes qui se battent pour réclamer leur droit à la ville.

Grâce à notre rencontre avec Higor Carvalho, ancien urbaniste à la mairie, nous avons pu néanmoins comprendre comment cet équilibre a pu être mené à Sao Paulo lors du dernier mandat. Comme nous l’avons déjà dit, Sao Paulo est une ville particulière au Brésil. Tous les intérêts économiques du pays confluent ici, et donc la pauvreté aussi. C’est une ville où les inégalités qui règnent dans le pays se lisent de manière très saillante.

Dans ce contexte, le dernier mandat de maire de Sao Paulo a été brigué par ce que beaucoup de monde s’entend à reconnaître comme un gouvernement progressif. Celui-ci a essayé de résoudre certaines de ces situations d’inégalités en menant des politiques d’amélioration des conditions des quartiers précarisés. Mais il n’a cependant pas était reconduit lors des dernières élections de janvier, et c’est un maire beaucoup plus ancré à droite qui a pris sa place; remettant ainsi en question les nombreuses politiques sociales que la dernière équipe avait mises en place.

Higor Carvalho a été urbaniste à la mairie pendant tout le dernier mandat. Ce dernier nous explique comment la ville entendait à l’époque résoudre les problèmes de logement que connait Sao Paulo. Selon lui, la politique urbaine menait par la dernière équipe était un véritable outil de « transformation sociale » et comprenait la question de l’habitat dans une dimension nettement plus grande que le simple fait de bâtir des logements en série (écueil souvent répété des politiques de l’habitat).

Pour lutter contre la vacance, la ville s’est par exemple dotée de nombreux outils permettant d’identifier les bâtiments vides et d’exproprier les propriétaires qui n’accompliraient pas cette fonction sociale de la propriété. L’ensemble des bâtiments identifiés par l’ancienne équipe permettrait par exemple de transformer 2 millions de mètre carrés à Sao Paulo en logement social. Mais, comme nous l’avons dit, ces politiques sont difficile à mettre en place sur des temps court et dans des contextes d’alternance politique. Au contraire, dans un temps plus court, l’ancienne équipe a pu beaucoup travaillé avec les mouvements sociaux.

Les mouvements sociaux sont très puissants et très nombreux à Sao Paulo. Beaucoup des mouvements présents aujourd’hui dans tout le Brésil, comme le MST, sont nés ici. En effet, cette ville cumulent de nombreuses problématiques urbaines, et de ce fait, est un important terrain de lutte. La longue histoire de ces mouvements leur a permis de s’ancrer et de s’organiser. Ils ont aujourd’hui une capacité de production et d’organisation collective énorme. Ce sérieux et cette qualité d’organisation ont fait de certains mouvements des interlocuteurs important pour la mairie.

L’un des nombreux bâtiments occupés par le FLM dans le centre Sao Paulo

Certains mouvements sociaux participent par exemple beaucoup à l’écriture des lois comme nous le dit Higor : « Les politiques ne peuvent être créées qu’avec un ancrage dans le réel. Et ils (les mouvements sociaux) nous aident à ça. On ne peut pas créer de politique de cabinet.  Il faut qu’il y ait adhérence avec la société. ». Ils représentent donc pour la mairie des acteurs importants du droit à la ville. Ce sont des personnes de terrain qui connaissent bien les réalités. C’est en cela qu’ils aident aussi les politiques à identifier les problématiques nous dit Higor : « Les mouvements sociaux (…) ont le rôle de rappeler à des enjeux, de demander une solution, d’effectuer une pression (…) et on a besoin de ça dans la politique (…). Ils peuvent être parfois aussi des justificatifs à nos actions. ». Leur connaissance du contexte du logement et leur lutte pour que les droits de chacun soient respectés leur donne donc un statut de lanceur d’alerte. Alerte qui oblige les politiques à se positionner sur ces questions.

Dans ce contexte, le droit à la ville n’est pas forcément un concept transcendant qui domine les politiques. Au contraire, c’est un droit qui se conquière chaque jour, et grâce à de nombreux bricolages ; et ce, malgré qu’ici la loi lui donne un cadre. De plus, cet exemple nous interpelle doublement sur le rôle des municipalités dans la politique urbaine. D’une part, le contexte brésilien, oscillant tour à tour entre réformisme et libéralisme effréné rend difficile la mise en place de politiques consistantes. D’autre part, on constate ici que les mouvements sociaux sont pleinement intégrés à la gouvernance de la ville, et ce, malgré leur manière de faire hautement conflictuelle. Et cela nous interpelle sur la gestion de ces mêmes conflits en France. N’y a t-il pas en France, une tendance au rejet de certains mouvements, sous prétexte qu’ils dépasseraient une limite en rentrant dans une trop grande conflictualité ?

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