Wayna Tambo, là où dialoguent les cultures

On avait pas de contact avec la maison culturelle Wayna Tambo. Mais on est quand même venu toquer à la porte. Alors direction El Alto, ancien bidonville de La Paz en Bolivie, devenu municipalité autonome. El Alto se situe sur le plateau qui surplombe La Paz. Alors nous ne prenons pas le bus ni le taxi pour y aller, c’est le téléphérique qui nous y amène, avec en prime une vue imprenable sur la ville.

On toque. Le centre a l’air fermé. Mais la porte reste ouverte. Un homme entrain de refaire la peinture nous reçoit. On cherche quelqu’un pour nous parler de l’histoire du centre ainsi que de son fonctionnement. Et on tombe assez bien, Moïse s’avère être l’un des fondateurs du centre il y a plus de 20 ans.


On lui présente notre projet et il nous interpelle tout de suite : la citoyenneté, lui, ça ne l’intéresse pas. La citoyenneté c’est selon lui une manière de rendre la société individualiste. Et à la Casa Cultural Wayna Tambo – Red de la diversidad on cherche plutôt à parler de communauté, et du sens que celle-ci peut donner à la société.

Communauté ne veut cependant pas dire ici fermeture. Au contraire, l’individu se définirait selon eux à travers l’appartenance à différents groupes. Le centre entend fortifier ces différents groupes et les mettre en lien, qu’ils appartiennent au domaine de l’art ou bien aux cultures locales. Wayna Tambo accueille en effet tout à la fois une radio, une salle de concert et organise aussi des festivals.

L’entretien continue dans la station radio. Moïse nous expose ici sa vision de ce qu’il appelle la « subjectivité bolivienne ». L’arrivée au pouvoir d’un président indigène, Evo Morales, ainsi que toutes les mesures mises en place depuis (apprentissage de l’aymara et du quechua à l’école, reconnaissance et valorisation des différentes communautés, valorisation d’un état plurinational…) ont contribué selon lui à une véritable révolution de la subjectivité bolivienne. Le temps où certaines personnes se sentaient obligées de cacher leur appartenance à tel communauté ou à changer de nom paraît loin aujourd’hui. Mais la route reste encore longue pour décoloniser les esprits. A leur niveau, Wayna Tambo tentent d’apporter leur pierre à l’édifice en faisant se rencontrer les différentes musiques et les différentes cultures dans un même espace. Les deux mots clefs sont ici respect de l’autre dans sa différence, ainsi que réciprocité. Le premier permet des rencontres originales. Tandis que la réciprocité propose des équilibres, là où la colonisation n’avait créé que des hiérarchies.

L’une des activités les plus développées du centre est la radio. Elle joue de la musique et propose des programmes originaux sur le dialogue des cultures. Mais surtout, elle tente de provoquer une réappropriation des espaces de la ville par les cultures, là où le gouvernement central n’offre que des réponses techniques et hors sol. Ils effectuent ainsi de courts reportages qui mettent en avant l’avis des populations concernées sur les projets urbains initiés par la ville. Il se servent ici de la radio comme un média militant pour rapprocher le “micro de la fenêtre”, donner une voix et développer un argumentaire absent des discours politiques. Par exemple, l’un de ces reportages présente la contradiction entre un projet de marché moderne en étage et la manière traditionnelle de vendre les produits. Ces derniers doivent, selon la tradition, se rapprocher du sol (et donc de la Pachamama*) pour favoriser le contact direct avec le client et pour que les produits partent plus rapidement – ce qui, soit dit en passant, ne manque pas de nous choquer quand nous voyons des kilos de poissons étalés sur une tenture au sol.

Une contradiction donc entre planification et culture. Ainsi, ce projet s’est construit, mais cela n’a pas empêché les gens de continuer à vendre dans la rue à la manière traditionnelle.

Tout ça nous nous mène à voir une autre facette de la profession d’urbaniste : donner parole à ceux qui ne l’ont pas, et donner une autre vision de la ville; sans d’ailleurs que personne ne nous ait invité à le faire. Bien différent donc des concertations institutionnelles. D’autre part, cet exemple et d’autres nous montrent l’importance de la communauté et de la culture dans le devenir des sociétés en Amérique Latine. Ce sont des choses dont nous avons du mal à parler en France, en dehors des discours républicains sur les “dérives communautaires”. Et pourtant, ces petites marques culturelles sont aussi celles qui permettent de donner corps et vie à un territoire.

*Pachamama : “Terre-mère” dans les cultures pré-hispaniques correspondant à l’ancienne empire Inca, elle est la déesse-terre et l’une des plus importantes figure de la cosmogonie andine.

 

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