Le citoyen a besoin de ville – Entretien avec Desco


Quelle est l’histoire des espaces publics péruviens ?

L’une des caractéristiques des villes du Pérou est la ségrégation urbaine. Les riches vivent dans le centre de la ville, avec accès à tous les services, et les pauvres vivent dans les marges de la ville, dans des zones qu’ils habitent, auto construisent, et produisent avec force et peu d’aides de l’Etat.

Pour comprendre les espaces publics dans le cas péruvien, il faut comprendre l’époque du gouvernement corrompu de Fujimori. À l’époque, la ville était fermée à cause de la violence terroriste, du Sentier Lumineux. Les rues se fermaient car il y avait beaucoup de voitures piégées. Dans le processus actuel de transition à la démocratie, ou les gens peuvent pour la première fois s’approprier leur ville, il est nécessaire de repenser le rapport des gens à la rue, à l’espace public. Une phrase qui se dit beaucoup ici est : “le citoyen a besoin de ville”. Il fallait donc se réapproprier la ville. Mais pas seulement l’occuper, il fallait la générer depuis le début. C’est ainsi qu’est né le projet villa el salvador.

 

Quel role a joué la titularisation des titres de proprieté dans le développement des villes péruviennes ?

 

Au Pérou, dans les années 80, Hernando de Sotto a publié son livre L’Autre sentier. Il y affirme que les pauvres de la ville peuvent améliorer leur condition en accédant à un titre de propriété. Grace à ces titres, ils pourraient accéder au marché de l’immobilier et ainsi, vendre et acheter. À Desco, nous valorisons la propriété de la terre qui s’habite, qui se produit, qui s’auto construit. Ainsi, selon notre expérience, nous voyons avec critique cette théorie et notamment ses concrétisations politiques. Dans les années 90, le gouvernement de Fujimori créa la Commission de Formalisation de la Propriété Informel (COFOPRI). Cette entité est en charge d’assainir la propriété informel et de distribuer des titres de propriété. Mais ces efforts n’ont pas contribué à un processus de développement économique comme ils l’affirmaient. Au contraire, on a assisté à un processus d’individualisation de la propriété et de destruction des processus citoyen de construction de communauté. Cela peut s’imager à travers l’exemple de différents quartiers produits à travers un processus d’invasion*. Dans ces quartiers, un groupe de familles arrivent avec un projet commun. Néanmoins, certains viennent profiter de ce processus. Lorsqu’ils obtiennent leur titre de propriété, ils s’en vont et laissent aux familles restantes le travail des équipements publics, lumiere, eau, écoles… Et quand tout cela est fait, ils reviennent et vendent la propriété acquise grâce à cofopri avec un prix plus important (de la spéculation en somme). Et tout cela, sans pour autant avoir contribué à la construction commune ou un processus de développement social.

*Invasion étant le nom donné au Pérou aux processus d’urbanisation spontanés. Spontané ne veut cependant pas dire désorganisé, car ce sont de véritables villages qui sortent ainsi de terre. On considère aujourd hui que 70 pour 100 de l’agglomération de Lima a été construite de cette maniere.

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